Extrait de son long poème intitulé Inaltérable, datant de 1966 et publié en 1983 au Noroît (Montréal) :
de toi à moi
la droite unique la cascade ardente sans pareille la parole
plus forte engorgée
mon espace inconnu des dentales heureuses et du clavier
une marche furieuse de gestes rompus
du plus tendre bégaiement au plus obscur cri
celui qui te ressemble tenant la tête tranchée à l’ancienne
manière des hymnes et des croix
mes entrailles bandées sur ta girouette
devant la mes désaxée
une voix dans la nuit qui fut cette nuit même
quittant la barque et la maison
marche à marche sans foi ni reproche
toi vendue bouée de larme immobile partout présente contre
mes écubiers
malgré que je m’en fusse disent-ils hors des domaines de la
voix
hors du geste conquérant de la chair
l’ombre sacrifiée crucifiée sur la parole
où les chemins se dénouent avec la douleur du serpent
nos mains heureuses gardant empreinte ouverte du couteau
d’os sans limite ni réclusion
au gréement sûr des mémoires et des caravelles
pourtant il y en eut à préférer qui tes monticules de sable
qui mes moulins à vent
et d’autres nés je ne sais trop de quel givre mourant
ceux-là montaient des chevaux d’or
un griffon à tête de vent sur l’épaule gauche
leur genoux défiant l’étoile de raison
tous voleurs de femmes à la belle manière défilaient
délaissant après eux le silence des coquilles
vers cette mer intérieure que je t’indiquerai hors du portulan
en toi retrouvé
le même dit de toute langue de feu
hybride excroissance entre muscle et calcaire diront-ils
mais nous simple genèse de l’ombre
d’une descente infinie vers ce chant qui fut toi
au plus que parfait du centre du foyer
sur l’égal battement d’ailes labiales
la même soif éprouvée des entonnoirs aux labyrinthes
l’insurmontable vertige des couloirs de pierres intérieurs
où ceux-là s’acharnaient enchaînés au sort des phrases
muettes
tout contre toi
cette quête commune précipitée cette razzia joyeuse
et l’immense plaie d’or que nous fûmes ensemble dans ton
souvenir
mille décors pour toi montés au coeur de toi
ma silhouette multiple coupée en peau découpée d’anesse
tatouée
toi agenouillée comme la mer à boire dans des crânes peints
célébrant quel champ livré avec la chair au sacrement des
pioches
toute l’herberaie en rançon recroquevillée entre les pieux de
ma main
reliés par mes cheveux
je fus à ton domaine le cercle cabalistique
ton socle choisi étant encore cette mâchoire que je sais mienne
et ces jambes que voici forgées pour tes épées de gloire
ta légende de terre sainte contre lèpre et vampire
ma boule de neige longtemps pétrie sans façon ni reproche
dans ce pays sans âge ni chanson
vois
ce soleil éteint sur ton passage
ma présence en toi de cette humble chandelle
retenant ce profil infidèle d’une femme qui prend feu sans
prière
j’avais une poupée de sable en angoisse disloquée
sans souci de chair ni sommeil
pleurant la geste orale et le mensonge des hiéroglyphes
c’est d’ailleurs d’eux que je tiens ce profil amer de cicatrice
(…)

Montréal, vers 1990