Découverte poétique : Serge Legagneur (Haïti/Québec)

Extrait de son long poème intitulé Inaltérable, datant de 1966 et publié en 1983 au Noroît (Montréal) :

             de toi à moi

la droite unique la cascade ardente sans pareille la parole

       plus forte engorgée

mon espace inconnu des dentales heureuses et du clavier

une marche furieuse de gestes rompus

du plus tendre bégaiement au plus obscur cri

celui qui te ressemble tenant la tête tranchée à l’ancienne

    manière des hymnes et des croix

mes entrailles bandées sur ta girouette

devant la mes désaxée

une voix dans la nuit qui fut cette nuit même

quittant la barque et la maison

marche à marche sans foi ni reproche

toi vendue bouée de larme immobile partout présente contre

        mes écubiers

malgré que je m’en fusse disent-ils hors des domaines de la

    voix

hors du geste conquérant de la chair

l’ombre sacrifiée crucifiée sur la parole

où les chemins se dénouent avec la douleur du serpent

nos mains heureuses gardant empreinte ouverte du couteau

d’os sans limite ni réclusion

au gréement sûr des mémoires et des caravelles

pourtant il y en eut à préférer qui tes monticules de sable

qui mes moulins à vent

et d’autres nés je ne sais trop de quel givre mourant

ceux-là montaient des chevaux d’or

un griffon à tête de vent sur l’épaule gauche

leur genoux défiant l’étoile de raison

tous voleurs de femmes à la belle manière défilaient

délaissant après eux le silence des coquilles

vers cette mer intérieure que je t’indiquerai hors du portulan

en toi retrouvé

le même dit de toute langue de feu

hybride excroissance entre muscle et calcaire diront-ils

mais nous simple genèse de l’ombre

d’une descente infinie vers ce chant qui fut toi

au plus que parfait du centre du foyer

sur l’égal battement d’ailes labiales

la même soif éprouvée des entonnoirs aux labyrinthes

l’insurmontable vertige des couloirs de pierres intérieurs

où ceux-là s’acharnaient enchaînés au sort des phrases

muettes

tout contre toi

cette quête commune précipitée cette razzia joyeuse

et l’immense plaie d’or que nous fûmes ensemble dans ton

souvenir

mille décors pour toi montés au coeur de toi

ma silhouette multiple coupée en peau découpée d’anesse

tatouée

toi agenouillée comme la mer à boire dans des crânes peints

célébrant quel champ livré avec la chair au sacrement des

        pioches

toute l’herberaie en rançon recroquevillée entre les pieux de

     ma main

reliés par mes cheveux

je fus à ton domaine le cercle cabalistique

ton socle choisi étant encore cette mâchoire que je sais mienne

et ces jambes que voici forgées pour tes épées de gloire

ta légende de terre sainte contre lèpre et vampire

ma boule de neige longtemps pétrie sans façon ni reproche

dans ce pays sans âge ni chanson

      vois

ce soleil éteint sur ton passage

ma présence en toi de cette humble chandelle

retenant ce profil infidèle d’une femme qui prend feu sans

prière

j’avais une poupée de sable en angoisse disloquée

sans souci de chair ni sommeil

pleurant la geste orale et le mensonge des hiéroglyphes

c’est d’ailleurs d’eux que je tiens ce profil amer de cicatrice

(…)

photo © René Diraison
Montréal, vers 1990

Publié par Symon Henry

Læ Symon Henry est un animal aquatique nocturne s’ébaubissant au contact des pensées complexes, des réalités fluides et des genres incertains. Ielle se transdisciplinarise principalement de musiques de concert, d’arts visuels et de poésies. Son recueil L’amour des oiseaux moches (2020, Omri) a été finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur Général ainsi qu’au Prix Émile-Nelligan et porté sur scène, avec sa musique et ses visuels, par l’Ensemble contemporain de Montréal (ECM+).

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